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Rire en PET

Un mercredi de 2023, 14h05.

Jupiter dort debout au fond du manège. Son poil blanc réfléchit les maigres rayons de soleil de ce mois d’octobre. J’ai vu la petite Agatha arriver avec Karin, sa maman. On se salue de loin et je sais que j’ai encore quelques minutes devant moi pour finir de préparer le manège : Agatha doit changer de chaussures pour se parer de ses baskets d’équitation et être prête à affronter les flaques et les ronces qu’elle exècre.

Je range mon matériel, laisse Jupi dormir et arrive dans le club house : “Coucou Agatha ! La forme ?”. La fillette trépigne et rit. Elle se lève, court dans mes bras, me regarde enjouée et file vers le manège. 

Malgré sa démarche hésitante, elle fonce en criant “Jupiteeeeer !!! Je t’aiiime !!”. Elle trébuche, tombe, se roule dans le sable, attrape une poignée de cette texture mi-douce mi rugueuse, se relève et continue sa course effrénée. Jupiter la regarde approcher et se laisse papouiller. Elle le couvre de ses tendres baisers. Je le surveille car je sais qu’il peut se montrer irascible devant tant de chaleur, mais Agatha est pleine d’une telle spontanéité qu’il semble apprécier cet élan de tendresse. 

Elle s’arrête soudain et plonge son grand regard flouté par ses verres épais dans le mien : “on va chercher la brosse qui chante ?”. OK, on va chercher la brosse qui chante ! Demi-tour et course vers le bac à brosses. 

Agatha est porteuse d’un handicap qui l’empêche de marcher droit : lorsqu’elle va trop vite, ses pieds s’emmêlent et la propulsent au sol. Qu’importe, elle se relève et fonce vers le seau. Elle fouille de manière précipitée et me regarde d’un air anxieux : “elle est partie en vacances, la brosse qui chante ?”… Ah peut-être… Je vais voir dans un autre bac et trouve la petite étrille. Je regarde Agatha, prend la voix de la brosse qui chante et déclare “J’étais juste aller faire un tour chez les voisins !” Soulagement. La fillette prend l’étrille et retourne vers Jupiter :”on va te faire un bon pansage”. Elle brosse, masse, s’accroche à la crinière pour ne pas tomber et finit par demander mon aval “c’est bon, il est propre Jupiter ?”. Je valide et  finis de le préparer. 

Je propose à Agatha de monter. “Non, on va d’abord marcher !”. Elle attrape ses rênes et propose à Jupiter d’emboiter son petit pas. Il la suit bon gré mal gré et nous nous mettons en quête du chemin qui nous mènera à l’étang. Soudain elle s’arrête, me regarde et propose : “on pourrait appeler Havana !” et à peine a-t-elle émit l’idée qu’arrive, clopin clopan, notre vieille Labrador qui a flairé le bon plan de la balade au bord de l’étang. 

A nous quatre, nous cheminons alors dans le petit bois. Lorsque les ronces se font trop denses, je propose à Agatha de se mettre en sécurité sur le dos de Jupiter. Ravie, elle se laisse porter et s’assoit sur le dos de notre papi. “Jupiter, en avant ! “. Il part d’un bon pas et la fillette rit des secousses. Elle attrape au vol quelques feuilles et commence une collection de botaniste. 

Soudain elle me crie “STOP !”. La caravane s’arrête, je la regarde et elle me dit :”Là !!! une pomme de pin, on va la prendre pour maman”. Je me baisse, attrape le fruit tant convoité et lui donne. Elle observe attentivement l’objet et me dit de son petit air sérieux :”ça fera un beau cadeau !”. 

Pendant la balade, j’observe son bassin se délier : elle si raide au début de l’aventure se décontracte et accompagne de mieux en mieux les pas de Jupiter. Montées, descentes, elle accuse tous les soubresauts de la démarche régulière de Jupix et finit par acquérir une assiette solide. 

Arrivés au bord de l’étang, Jupiter baisse la tête et engouffre les brins d’herbe de manière compulsive. Havana plonge dans l’eau, brasse et s’éloigne un peu. 

Agatha, elle, se couche sur la croupe de Jupiter et regarde les nuages. 

Le temps est suspendu et passe doucement. La fillette somnole. Elle se laisse bercer par la respiration régulière de son poney et le bruit de ses mâchoires sur l’herbe tendre. 

Soudain, je vois la queue de Jupiter se lever et je l’entends dégazer. A son âge, il pète vaillamment. Le bruit et les soubresauts nous sortent de cet instant de contemplation et je vois Agatha rire de tout son être. Ses abdos se contractent et elle se redresse. Elle me regarde et s’esclaffe :”Jupipète !!!!” 

Elle se recouche et attend le prochain pet qui ne tarde pas à arriver. 

Elle remonte à nouveau et rit sans pouvoir s’arrêter. 

Alors que je m’esclaffe de bon coeur avec elle, je sens en moi naître une sorte d’émerveillement naïf. Avec ma casquette de monitrice, je repense à tout ce que j’ai vu en formation équi-handi : l’adhésion au traitement, l’envie de bien faire avec le poney et je pense en mon fort intérieur qu’aucune séance de kiné ne pourrait mieux faire travailler sa chaîne abdominale à ma petite Agatha qui est en plein apprentissage de la marche. 

Il fait bon au soleil, aucune horloge ne peut briser cet instant et je ne peux m’empêcher de penser que ce pet de poney est sans doute une des thérapie les plus efficaces au monde pour rééduquer le corps de cette enfant qui a tout l’avenir devant elle. 

Il est 14h45 et nous rions en pet. 

Merci mon Jupipète.

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